Le Chaudron 2020, Le Sauvage
Actualiser la notion de nature sauvage, avec toutes les ambiguïtés et difficultés que cela comporte, est un préalable à la pensée d’une mutation nécessaire des procédés techniques et culturels attachés à toute création humaine. Cette question semble pouvoir porter en elle un grand potentiel d’énergies et d’imaginaires nécessaires au projet. Par exemple, peut-on habiter le monde artificialisé qui est le nôtre, en vue de co-habiter avec ce que nous n’avons pas créé et qu’il nous est dangereux de détruire ?
Programmation et coordination : Cendrine de Susbielle et Vincent Tordjman
Le biorégionnalisme comme réensauvagment intérieur
L’humain doit-il être toujours la priorité du projet ? Conférence par Mathias Rollot, architecte et Maître de conférences à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy.
Rétro-innovation ou de la pertinence du bricolage en ces temps bouleversés
Décélerer, décroitre, peut-on rétro-innover ? Conférence par Marin Schaffner, ethnologue.
Le Zerep : théâtre in su tinta
Peut-on être sauvage au théâtre ? 17h30 Le Zerep : théâtre in su tinta, conférence par Sophie Perez (Fondatrice de la Compagnie du Zerep) et Xavier Boussiron (Musicien, plasticien, dramaturge...)
Bûcheron ce métier en question
Comment passer du sauvage à la fabrication ? Conférence par Mathias Bonneau, architecte, gestionnaire forestier, bûcheron.
Nature légère
Le design est-il une pensée sauvage ? Conférence par François Azambourg, designer.
Humanité végétale
Photographe, lauréat du Prix Redouté 2018, Mario del Curto a mené une enquête visuelle durant plus de 10 ans visant à révéler le monde comme un jardin.
La part sauvage du monde
Quelles limites à la part sauvage du monde ? Conférence inaugurale par Virginie Maris, philosophe de l’environnement, chercheuse au CNRS.
Percevoir, l’intime des paysages du Var
La photographie comme outil de perception d’un paysage ? Conférence de Pierre David, Paysagiste.
Le Temps sauvage
Comment faire avec ce qui existe et remettre le vivant et l’écologie au centre de la conception ? Conférence d’Emmanuel Benet Architecte d’intérieur et Raphaëlle-Laure Perraudin, architecte.
Du sauvage
Le paysage dans la ville, un projet sauvage ? Conférence de Mathieu Gontier, paysagiste agence Wagon landscaping.
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La crise épidémiologique, économique et sociale que nous traversons confirme qu’il est opportun de mobiliser notre attention pour réinvestir cette distinction classique entre sauvage et civilisation, entre nature et culture. Penser les relations entre le projet humain et la part sauvage du monde, le concept de Virginie Maris, philosophe de l’environnement, nous invite à ne plus considérer la nature seulement comme un système de ressources à disposition des intérêts humains. Quelle place redonner au caractère non domestique de cette nature qui a constitué notre monde sensible, nos paysages, nos imaginaires, et dont notre humanité ne peut finalement être isolée ?
En vue d’une métamorphose nécessaire de nos comportements à l’échelle planétaire, l’architecture intérieure et le design comme projets d’habiter peuvent contribuer à repenser et réinvestir nos relations avec cette part sauvage, ces écosystèmes dont l’équilibre nous préexiste.
Actualiser la notion de nature sauvage, avec toutes les ambiguïtés et difficultés que cela comporte, est un préalable à la pensée d’une mutation nécessaire des procédés techniques et culturels attachés à toute création humaine. Cette question semble pouvoir porter en elle un grand potentiel d’énergies et d’imaginaires nécessaires au projet. Par exemple, peut-on habiter le monde artificialisé qui est le nôtre, en vue de co-habiter avec ce que nous n’avons pas créé et qu’il nous est dangereux de détruire ?
La séparation entre monde sauvage et monde civilisé, explique l’anthropologue Philippe Descola, est une idée spécifique à l’Occident, qui s’est figée à l’époque moderne. Elle remonte à la distinction entre l’espace cultivé et l’espace de la chasse des Romains, entre le domaine habité – domus – et la forêt – sylva, racine du mot « sauvage ».
Sauvage porte désormais un sens privatif. Au propre comme au figuré, il est ce qui échappe à la civilisation, à l’habitable, à la raison, à la logique et au contrôle.
L’anthropologie contemporaine a montré que pour nombre de civilisations, le monde n’est pas scindé par une discontinuité entre domestique et sauvage. Les êtres à l’apparence animale ou végétale qui peuplent la forêt sont nos semblables: les membres d’une grande famille planétaire. La jungle est un jardin, habité et marqué par des méthodes discrètes sans distinction d’avec la nature.
Or depuis l’invention de la méthode scientifique moderne, la nature est devenue pour le monde occidental un objet d’observation descriptible, dont les rouages pourraient être démontés et les lois élucidées par la science. Tout sauvage aurait-il vocation à disparaître, domestiqué par la technique et la raison humaine ?
La crise épidémiologique, économique et sociale que nous venons de traverser confirme qu’il est opportun de mobiliser notre attention pour réinvestir cette distinction classique entre sauvage et civilisation, entre nature et culture. Penser les relations entre le projet humain et la part sauvage du monde, le concept de Virginie Maris, philosophe de l’environnement, nous invite à ne plus considérer la nature seulement comme un système de ressources à disposition des intérêts humains. Quelle place redonner au caractère non domestique de cette nature qui a constitué notre monde sensible, nos paysages, nos imaginaires, et dont notre humanité ne peut finalement être isolée ?
En vue d’une métamorphose nécessaire de nos comportements à l’échelle planétaire, l’architecture intérieure et le design comme projets d’habiter peuvent contribuer à repenser et réinvestir nos relations avec cette part sauvage, ces écosystèmes dont l’équilibre nous préexiste.
Actualiser la notion de nature sauvage, avec toutes les ambiguïtés et difficultés que cela comporte, est un préalable à la pensée d’une mutation nécessaire des procédés techniques et culturels attachés à toute création humaine. Cette question semble pouvoir porter en elle un grand potentiel d’énergies et d’imaginaires nécessaires au projet. Par exemple, peut-on habiter le monde artificialisé qui est le nôtre, en vue de co-habiter avec ce que nous n’avons pas créé et qu’il nous est dangereux de détruire ?
Liste de résultat dynamique, Ouvrages disponibles à la bibliothèque de l’école Camondo : Transition écologique
Le sauvage est l’ensemble des dangers contre lequel l’architecture et le domestique prétendent protéger; pourtant, la violence n’est elle pas parfois du côté du projet humain lorsque, trop intrusif, il détruit les écosystèmes et les liens déjà tissés naturellement dans le contexte où il s’invite ? Comment le projet peut-il être être protecteur, économe, en retrait ? Peut-être un outil d’exploration des mondes sauvages ?
« J’ai parcouru des milliers de kilomètres pour trouver l’autre, je n’ai trouvé que l’humain ». On peut comprendre cette phrase de Claude Levi-Strauss dans Tristes Tropiques comme l’idée que le sauvage comme altérité absolue est un fantasme. Des racines communes relient toutes les espèces vivantes, et le souffle du monde traverse les imaginaires: le mythe de l’ailleurs et des origines demeure une inspiration jusque dans les formes les plus contemporaines de l’architecture, du design et des arts décoratifs.
Dans la tradition des arts décoratifs, bestiaires fantastiques, représentation des animaux ou végétaux sauvages, représentent cette énergie originelle, quasi magique, présente dans le monde et transmise aux vivants comme un souffle d’avant l’apparition de l’homme. Mais la technique seule suffit-elle à cette recherche des origines, de cette exploration de nos racines ?
La pensée sauvage, titre de l’ouvrage de Claude Levi-Strauss, désigne à la fois une fleur médicinale précieuse et fragile, et un mode de pensée concrète qui sans se disjoindre du magique, ne s’oppose pas à la pensée scientifique mais procède d’une même logique d’organisation du monde. Cette organisation pratique du monde, cette taxonomie, a construit le cadre culturel des usages des sociétés traditionnelles.
La pensée sauvage est une pratique vivante, concrète et incarnée non soumise au rendement. Elle renvoie à la part inspirée du projet, qui échappe à la rationalisation intégrale et se nourrit de la capacité de l’imagination et de l’intuition à produire des liens inattendus.
Peut-on penser les “pratiques sauvages” telles que bricolage, rétro-innovation, recyclage artisanal, récupération, réparation comme une nouvelle culture de la production, comme de nouvelles sources de projet ? On a vu lors de la pandémie: avec la fabrication autonome des masques, l’utilisation des Fablabs pour la construction de visières, chacun peut devenir un producteur de savoir-faire relié au monde qui l’entoure.
Certaines démarches artistiques et de projet peuvent aussi être qualifiées de sauvages, en tant que libérées et libératoires. Ce type d’énergie traverse les arts de la scène, la musique comme l’architecture, depuis les rites dionysiaques jusqu’à la rave party. L’art est toujours une résistance, parfois sauvage, à la normalisation et la domestication, qui doit respirer hors de “l’asphyxiante culture” (Dubuffet).
« La maison privée comme scène personnelle, comme dernier symbole de sa propre capacité de choix, comme espace non-homogène, comme accumulation d’objets, comme forêt, agrégat d’aventures et de passions également antiprojectuelles. C’est le charme, pour ainsi dire, du “projet mou” contre la certitude ostentatoire du projet “dur”, qui est lui, prémonitoire, démagogique, qui n’ait davantage pour s’affirmer lui et ses règles que pour exister en tant que nouvelle réalité.”
Alesssandro Mendini, Survie subtile, Casabella, n° 385, 1974, p. 520
La prise en compte de la part sauvage du monde peut nourrir des bifurcations des méthodes, afin de revitaliser le projet d’habiter.
Faut-il continuer à domestiquer ou préserver le non-domestique ? Le projet de design et l’architecture sont-ils des méthodes de contrôle ou des espaces de laisser-faire ? Dans le projet, comment conserver une part ouverte, d’incertitude, d’imprévu, de non contrôlé, de sous-domestiqué qui précisément ouvre l’espace à l’habiter.
La nature sauvage se passe bien de l’homme pour produire des solutions d’adaptation économes en énergie, efficaces et belles. Peut-on s’en inspirer, se laisser guider par elle pour habiter en limitant l’empreinte destructrice de l’homme sur les écosystèmes, et ainsi donner un sens totalement nouveau au “Less is more” moderniste ?
“Canicule, pandémie, est-ce cela vivre en ville ? Devoir fuir à chaque menace ? Non, si nous imaginons un «monde d’après» rural, solidaire, connecté et ouvert.” (Claire Desmares – Poirrier.)
Les espaces urbains peuvent-ils être envisagés comme des territoires en partie ré-ensauvagés, ouverts à une cohabitation libre entre humains, ouverts aux non-humains ? La végétalisation ne saurait constituer un horizon suffisant, nous devrions pouvoir chercher au-delà de l’agrément décoratif un nouveau souffle à la ville et de nouveaux modes de cohabitations entre humains et non-humains. Dans cette ambition, les méthodes et les espaces d’enseignement et de transmission joueront un rôle central.
Les zones rurales sont aussi un territoire riche d’inventions: Initiatives locales et processus basse énergie, agriculture non productiviste et résilience alimentaire, relations nouvelles avec les non-humains: la transition s’invente aussi hors des espaces sur-domestiqués des métropoles, dans les espaces ruraux transformés, dans des lieux de résistance, où se pratiquent de nouvelles autonomies mais aussi de nouvelles relations avec l’urbain, et se développent de nouvelles attitudes comme la “rural pride”.
Programmation et coordination : Cendrine de Susbielle et Vincent Tordjman
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