Le concept de « childwashing » dans la planification de la ville à hauteur d’enfant

Le concept de ville à hauteur d'enfant (...) va au-delà de l'aménagement physique des espaces. C'est une approche globale qui place les enfants au centre du processus de conception urbaine

Publié par Bertrand Ehrhart13 mai 2024

Texte et illustration Ruben Vidal

La ville, en tant que toile complexe tissée de rues animées, de quartiers dynamiques et de monuments imposants est le théâtre où se déploie la vie quotidienne de ses habitants.

Au cœur de ces métropoles et cités en perpétuelle évolution, émerge une perspective souvent négligée, celle des enfants.

Ces êtres curieux et en développement perpétuel, trop souvent considérés comme de simples résidents passifs, portent en réalité un regard unique et essentiel sur l’environnement urbain qui les entoure.

Le concept de « ville à hauteur d’enfant » prend racine dans la reconnaissance de cette perspective singulière.

Il va au-delà de l’aménagement physique des espaces.

C’est une approche globale qui place les enfants au centre du processus de conception urbaine.

Cela va de pair avec la compréhension profonde que si une ville souhaite acquérir une certaine prospérité, une équité, une accessibilité et un confort de vie, alors elle devra répondre entre autres, aux besoins spécifiques des plus jeunes citoyens.

Mais ce qu’il faut aussi bien comprendre dans le concept de ville adaptée aux enfants, c’est que si des efforts sont fait sur ce sujet, ils ne profiteront pas seulement aux plus jeunes citoyens, mais au plus grand nombre.

Une ville adaptée aux enfants c’est une ville adaptée à tous.

C’est une ville qui priorise le piéton et le cycliste aux automobilistes dans son aménagement.

C’est une ville qui respire mieux. C’est une ville qui forme des citoyens engagés car on les écoute, on prend en compte leur avis, et ça le plus tôt possible. C’est une ville consciente des enjeux qui se mettent face à nous : l’écologie bien sûr, mais aussi le phénomène d’individualisation auquel beaucoup de nos sociétés occidentales font face.

En parallèle de cette approche de la ville à hauteur d’enfants émerge de manière quasi inévitable un nouveau concept, que j’ai pu développer le temps du mémoire de recherche: le «Childwashing».

Ce nouveau terme est inspiré du concept de « Greenwashing » qui désigne la pratique consistant à donner une image écologique, vertueuse et trompeuse à une entreprise ou à une organisation, vise à décrire les efforts des municipalités pour donner une image de ville qui se soucie des enfants sans réellement répondre à leurs besoins.

Mais qu’entend-on exactement par « Childwashing » ? Ce concept peut se manifester de plusieurs manières. D’abord par une stratégie de communication et de marketing utilisée par les pouvoirs publics pour promouvoir l’image de la ville comme étant favorable aux enfants, tout en négligeant souvent les besoins réels de cette population vulnérable.

Cela peut également se traduire par une marchandisation de la ville à hauteur d’enfant : par la création d’aires de jeux fermées (qui ne favorisent par le développement de l’enfant) auxquelles vient se greffer des cafés pour que les parents attendent que leurs enfants aient fini de jouer.

Ce concept de cafés aires de jeux est ensuite franchisé et développé dans plusieurs villes françaises. C’est un exemple typique de «Childwashing»: faire croire que l’initiative est en faveur de l’enfant alors qu’il permet dans les faits d’assouvir les besoins et les envies de parents tout en les faisant payer.

Le «Childwashing peut également être palpable à travers des projets de développement urbain superficiels comme peuvent l’être des installations de mobiliers soi-disant adaptés aux enfants permettant aux élus de dire « j’ai coché la case Ville à hauteur d’enfant » comme me l’expliquait Benjamin Gentils (membre de l’association La fabrique des communs pédagogiques) lors d’un entretient (voir en annexe du présent article).

Des initiatives qui prétendent créer des espaces favorables aux enfants peuvent souvent se limiter à des changements très simplistes plutôt qu’à des améliorations concrètes, à des améliorations profondes qui permettraient à l’enfant de s’épanouir au mieux dans la ville.

Un autre exemple tangible d’initiative superficielle est la création d’un parc public pour les enfants limitant à une zone très définie et limitée la possibilité de développer leur autonomie et d’accéder à des espaces ludiques et formateurs. Ces espaces de jeux sont parfois utilisés par les municipalités pour mettre en avant une politique de ville à hauteur d’enfant qui s’avère finalement très limitée.

Le phénomène de «Childwashing permet de nous rappeler que la mise en avant d’une image positive peut parfois masquer l’absence de véritables engagements envers des projets concrets et bénéfiques pour les enfants. C’est un avertissement contre la superficialité des actions mises en place sans assez prendre en compte les besoins profonds des enfants en matière d’éducation, de sécurité, de participation et d’épanouissement dans la ville.

Toutefois, plutôt que de sombrer dans un pessimisme contre-productif, utilisons la notion de « childwashing » comme initiateur pour une réflexion critique et constructive. Plutôt que de simplement dénoncer, utilisons cette prise de conscience en une opportunité de construire des sociétés responsables, conscientes des défis à relever et véritablement engagées dans le droit des enfants et leur épanouissement.

Ruben Vidal childwashing

Annexe: entretien avec Benjamin Gentils, membre de l’association «La Fabrique des Communs Pédagogiques» qui veut rendre possible la mise en action de communautés dans l’éducation.

Ruben Vidal (RV): Y a t-il eu une prise de conscience récemment pour la nécessité d’ambitionner « La Ville à hauteur d’enfant » ?

Benjamin Gentils (BG): Le Covid a participé de l’engouement pour l’éducation en plein air, un de nos piliers. La santé mentale de l’enfant a été altérée par l’isolement, des moments de vie ont été perdus. Ça nous a aidé à la suite de convaincre du principe de « La Classe dehors », aller apprendre une demi-journée par semaine en plein air. Le Covid a mis la thématique de « La ville à hauteur d’enfants » au centre. Nous avons réuni des gens d’horizons divers, aussi bien l’éducation nationale et des profs, ceux qui viennent de l’éducation populaire, de l’éducation à l’environnement, de la recherche et enfin des corps de métiers, des gens qui ont des compétences qui sont essentielles. On fait intervenir des développeurs informatiques, des designers, des architectes, des avocats de plus en plus. Bref des intervenants qui permettent de repenser l’éducation en France.

RV: Qu’est-ce que l’éducation alors en dehors de l’éducation nationale ?

BG: Il y a deux axes. Toujours développer les communs et cette nouvelle exigence qu’il est urgent d’appliquer: Inscrire la place de l’enfant selon la convention internationale des droits de l’ enfant dans le cadre du changement climatique. Pour citer le maire de Bogota, «Une ville qui va bien est une ville qui est à hauteur d’enfant»? Moi, j’adapte cette citation: «Une ville qui est à hauteur d’enfant est une ville prête pour le changement climatique».

Depuis la signature en 1989 de La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) les enjeux se sont dramatisés !

Le droit à la vie, le droit à apprendre, le droit aux loisirs, à un environnement sain… la France à adopté la convention, qui est donc supra-constitutionnelle, c’est-à-dire plus importante que nos lois. Elle promeut un droit de participation des enfants pour les questions qui les concernent. C’est un devoir d’aménager les villes. La ville à hauteur d’enfants doit être une ville respirable. Est-ce que la parole des enfants est entendue sur autre chose que l’emménagement des écoles ? Non ! Comme le disait Tonucci «Penser la ville par le prisme des enfants est la garantie d’un bien-vivre pour tous».

RV: Pouvez-vous parler d’initiatives qui vont dans le bon sens ?

GB: Toutes les grandes municipalités, surtout les grandes métropoles à la tête desquelles on trouve des femmes-maires, ont un portefeuille dédié. Leur mission est de créer des routes de l’école, voire des projets « L’école dehors ». Il y a des arbitrages car dans les villes, ce n’est pas le maire, pas l’adjoint à l’urbanisme ou celui aux finances qui est en charge. Donc la place qu’occupe l’éducation dans les priorités politiques laisse à désirer.

Dans Paris, pour être positif, il y a de plus en plus de routes de l’école, mais c’est de la sensibilisation, un long dialogue car une rue dont ont banni les voitures va énerver les commerçants. Ces idées avancent quand même. La ville et l’assemblée des enfants qu’on à fait à Poitiers, ça a eu des échos. A la suite, il y a eu des enfants qui se sont fait auditionner par des députés sur les thématiques ville des enfants et changement climatique. A Marseille il y a un conseil municipal des enfants comme ailleurs, mais souvent leur participation relève de la question de la citoyenneté. Il faut donner le pouvoir d’agir aux enfants.

A Marseille on est en train de travailler avec la municipalité sur une déclaration des droits à la ville des enfants. Je veux aller seul à l’école… c’est la base. Strasbourg vient d’adopter une déclaration pour la ville à hauteur d’enfant. Une intention d’abord mais je sais qu’ils veulent aller plus loin et que tout ça va prendre du temps. Lyon travaille aussi pas mal sur le sujet. Montpellier a organisé un séminaire où tous les services ont participé. Tout cela va prendre du temps. On bute toujours sur le conflit du bien-être des enfants versus l’implantation de telle usine qui va créer 150 emplois.

RV: Vous avez mené une action dans une ville moyenne récemment !

BG: A Poitiers nous avons organisé «La ville et l’assemblée des enfants», Il y a eu des échos très positifs. A la suite, il y a eu des enfants qui se sont fait auditionner par des députés sur la thématique « Ville des enfants et changement climatique ».

Bien sûr, l’idéal serait de faire classe régulièrement en forêt mais 80% des enfants en France sont des urbains. Cela fait beaucoup de gamins dehors dans l’espace public. Si les enfants ont le droit de sortir, il faudrait peut-être aménager tel carrefour ou agrandir le parc de la ville.

RV: Donc des initiatives qui n’aboutissent pas vite. Le thème est à la mode. Peut-on parler de « Child-Washing » ?

BG: Absolument ! Je dois me battre avec des gens qui sont en train de sauter commercialement dans la brèche. Je vois se créer des sortes de « MacDo de la ville à hauteur d’enfant ». En gros c’est comme du coworking pour les enfants des bourgeois du centre-ville. Tu as 3 bouts de bois et des plantes vertes pour faire bien et occuper les enfants, derrière il y a un café business, la créatrice ambitionne des franchises dans toute la France. On se bat contre cette fausse vertu qui permet de dire aux élus «J’ai coché la case Ville à hauteur d’enfant». Le vrai enjeu est de passer du design de mobilier urbain adapté aux enfants au re-design de processus politique qui permette la participation des enfants et gomme aussi le fléau de notre société: l’individualisation.

RV: L’enfant n’est pas considéré comme un citoyen ?

BG: C’est ça. Bon il y a des limites, un enfant de 4 ans va demander un droit de faire pipi sur la voie publique, c’est à dire qu’on est dans la sincérité. Le processus peut quand même aboutir à des idées très créatives et des propositions incroyables.

Sources bibliographiques

Ouvrages

  • Francesco Tonucci, La ville des enfants: pour une (r)évolution urbaine, Marseille, Parenthèse, 2019
  • Thierry Paquot, La ville récréative: enfants joueurs et écoles buissonnières, Paris, In Folio, 2015
  • Thierry Paquot, Pays de l’enfance, Paris, Terre urbaine, 2022

Podcasts

  • Pour un nouveau récit urbain: la ville du quart d’heure, France Culture, Béline Dolat, 32mn, 2 octobre 2021
  • Just kids, l’enfant dans la jungle urbaine, France Culture, Florian Delorme, 85 mn, 13 décembre 2016

Webinaire

  • Damien Berthilier, La ville à hauteur d’enfant, intervenant Thierry Paquot, ville de Montpellier, 2021

Mémoire signé Ruben Vidal à lire au catalogue de la bibliothèque de l’école Camondo

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