Claude Parent, architecte

Publié par Bertrand Ehrhart2 mars 2016

Claude Parent avait la capacité de communiquer (c’est-à-dire d’écrire) avec un grand talent son point de vue sur le métier d’architecte, mais aussi sur celui du designer, qu’il revendiquait ne pas exercer. Commentaires sur l’article intitulé Face à face : architecture et design, paru dans L’architecture d’aujourd’hui numéro 155, d’avril – mai 1971 :

Dans ce numéro spécial design de L’architecture d’aujourd’hui, thème à la fois cher au directeur éditorial d’alors Marc Emery, et novateur pour une revue d’architecture française de l’époque, Claude Parent propose sa conception du design :

Il réfute d’abord la conception anglo-saxonne (…) qui tend à assimiler (le design) à tout acte en créativité touchant à l’environnement construit de l’homme.

Le design – discipline présente, comme on sait désormais, dans tout et réciproquement – ayant pris le pouvoir médiatique dès ce début des années 1970, on constate que ce rejet de Claude Parent est aujourd’hui dépassé par les usages linguistiques.

Après avoir exprimé ce refus d’un escamotage des nuances et d’une confusion des syntaxes consistant, en les qualifiant – préfixe(s) ou suffixe(s) – de design, à intégrer dans une même discipline des domaines spécifiques, Claude Parent s’empresse de préciser qu’il n’a pas pour but un cloisonnement entre spécificités de créations spatiales.

Il ne s’agit pas d’étiqueter pour séparer (…) mais plutôt de différencier pour mieux comprendre de quoi l’on parle.

Les références premières en matière de design, pour Parent, sont les fontes de Guimard, pour leurs caractères d’industrialisation et déjà de préfabrication, mais surtout qui permettent la pluralité de la disposition.

Par cet exemple, Parent attribue l’origine du design au décoratif, une filiation qui n’est pas étrangère au projet pédagogique de l’école Camondo, pour regretter aussitôt que le caractère industriel impérialiste et universel du design ait érigé en valeur incontournable une conception de l’architecture doctrinaire, soumise à l’industrie du bâtiment et à la logique économique de la rentabilité, loin de toute démarche formelle et esthétique, qui sont pour Parent les valeurs fondamentales du véritable architecte.

Parent insiste en observant que nombre de ses collègues, architectes devenus en fait designers, appliquent les méthodes de la construction automobile au bâti.

Pire selon lui, lorsque les architectes n’évoluent pas suffisamment rapidement dans cette voie industrielle, ils sont progressivement remplacés par les designers, qui n’auraient pas leurs scrupules humanistes.

Et de citer Archigram comme exemple récent d’un délire créatif qui pousse jusqu’à la science-fiction la logique du designer substitut de l’architecte.
L’architecte sincère, pour Parent, est politiquement gênant et encombrant dans la mesure où sa priorité reste humaniste, tandis que le designer prend une part active naturelle à la société industrielle puisqu’il peut répondre aux besoins de ce système autant en termes esthétiques, c’est-à-dire avec l’alibi artistique, qu’en termes économiques, c’est-à-dire générant – et c’est bien là le but du design – un profit financier.
Dans cette analyse critique, Parent définit l’action du design d’une part comme création d’objets fabriqués en série, destinés à être perpétuellement remplacés pour répondre à une société de consommation toute puissante bien que soumise à une accélération abusive de la mode, et d’autre part comme conception d’éléments.

Le design est pour Parent le moyen qu’a trouvé l’industrie pour investir le bâti, en le décomposant en éléments n’ayant de lien entre eux que technique, sans aucune nécessité organique.

Pour Claude Parent, la véritable architecture vient du dedans, et se développe dans une démarche de synthèse organique. L’industrie ne pouvant se plier à ce type de conception, s’attaque par conséquent à l’enveloppe, réduisant l’architecture à un esprit design.

Parent fustige ainsi le mur-rideau, le bardage, la cellule d’habitation très en vogue à l’époque, et plus généralement tout espace séparé d’une architecture globale, et va jusqu’à comparer la prise de pouvoir du design industriel sur la conception architecturale au colonialisme occidental du XVIe au XXe siècle.

Parent conclut en prédisant que le salut de l’architecture – et donc des sociétés humaines – viendra d’une prise en main des habitats par les habitants eux-mêmes.

Claude Parent est mort le 27 février 2016.

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