Episode 0
Ça se passe au zinc d’un café dont l’architecture intérieure n’a pas connu de bouleversement majeur depuis 1947, et c’est beau.
L’auteur discute avec une amie, le premier épisode est une dystopie, il paraît que c’est bien de commencer comme ça une série, après les gens disent « au début j’ai eu du mal à rentrer dedans, mais après je n’ai pas pu lâcher les personnages » ; ça part donc en vrille au premier épisode, c’est normal. Dès le deuxième épisode, on comprend que le lieu, qui permet de se détendre, est idéal justement pour aborder un sujet tendu : la place des architectes d’intérieur dans la vie en gérénal, et dans leurs rapports avec les architectes en particulier. La bande son : les Beatles, Queen, Pink Floyd, une symphonie classique ou romantique et ses variations en duo, trio, quatuor ou ce qu’on veut de musique de chambre.
Saison 1 Episode 1
L’autre soir, on trinquait avec une vieille copine marxiste. C’est pratique les copines marxistes, généralement elles sont bavardes, et livrent généreusement à tout propos leurs réflexions sur le monde, la vie, le travail, la mort, systématiquement au prisme des écrits de leur auteur favori. Par conséquent, elles nous dispensent de la lecture du Maître, c’est toujours un gain de temps, et leurs analyses digestes suffisent largement à notre vernis culturel et à nos ambitions conversationnelles de bistrot.
Ce soir-là, ma copine marxiste évoquait cette idée, marxiste, selon laquelle le pouvoir est entre les mains des sachant, et qu’il va s’agir maintenant d’urgence de dissocier Savoir et Pouvoir, si l’on veut enfin commencer à réunir les conditions nécessaires pour faire advenir un monde meilleur un de ces quatre. Elle ajoutait que Gramsci a repris l’idée, mais Gramsci elle ne l’avait pas lu. De toute façon, Gramsci c’est comme un groupe de musique pop, on peut aimer, mais enfin si on veut comprendre vraiment ce que c’est que la pop et d’où vient ce style de musique, il faut revenir aux Beatles. Marx comme les Beatles, Gramsci comme mettons Queen ou Pink Floyd. Tandis qu’elle me parlait, j’avais des moments de décrochage, je pensais à mon travail de bibliothécaire dans une école d’architecture intérieure, des trucs comme ça, lorsque paf.
Saison 1 Episode 2
Résumé de l’épisode précédent :
Où ma copine marxiste évoque la nécessité de dissocier Pouvoir et Savoir, lorsque paf.
Cette idée qui, dans le genre progressiste, me semblait aller de soi – dissocier savoir et pouvoir – m’a rappelé un article, ou plutôt une espèce d’éditorial, lu la veille ou l’avant-veille, écrit par un architecte qui disait comme ça que l’Ordre (des architectes) ferait bien de mettre son nez dans, disait-il à peu près, le fatras des métiers connexes au bâtiment, dont, forcément, les architectes d’intérieur, s’il veut perdurer (l’ordre).
A ce moment-là de la soirée, j’ai demandé à ma copine dans quel bouquin Marx développe cette idée, mais, comme cela arrive parfois, elle ne se souvenait plus. Pas grave, l’idée ici n’est pas de construire un texte avec bibliographie et notes de bas de page, il ne s’agit que d’une série à destination d’un public de niche, rien de scientifique. Livrons à ce stade de l’épisode 2 de la saison 1 de la proposition de positionnement microcosmique à l’usage des architectes d’intérieur, série de l’été 2020, l’idée qui m’était venue lorsque paf. Mettons ça sous forme de question, c’est plus prudent et c’est comme ça que font les pensant, qui se donnent l’air d’ouvrir des pistes de réflexions, lorsqu’au fond, ils ne livrent rien d’autre que leurs convictions : Est-il pertinent de faire le parallèle entre lutte des classes et conflits économico catégoriels que connaissent, de manière latente mais permanente, souvent à bas bruit mais avec des crises concomitantes aux difficultés du « bâtiment », les architectes d’intérieur vis-à-vis des architectes tout court ?
Saison 1 Episode 3
Résumé de l’épisode précédent :
Où l’on apprend qu’architecture bien Ordonnée commence par soi-même.
Le savoir est représenté par un papier qu’on appelle diplôme, il n’y a pas que les architectes qui sont concernés. Mais, comme pour les médecins, qui eux aussi sont ordonnés, pas de papier, pas de boulot !
Les architectes, dans le principe de l’Ordre, ont l’exclusivité de la signature du construit, à l’exclusion de tout le monde. L’interprétation normée de cette situation est rassurante : Si tu n’as pas ton diplôme de médecine, tu n’es pas médecin, si tu n’as pas ton diplôme d’architecture, tu n’es pas architecte. L’articulation entre savoir et pouvoir fonctionne là à merveille, c’est tellement limpide qu’on ne peut pas s’empêcher de se dire sacré Marx quand même. A imaginer n’importe qui, mettons ma copine marxiste par exemple, qui n’est pas médecin mais prof d’espagnol à Bagnolet, me prescrire un traitement quels que soient mes symptômes, on en frémit vachement. Aussi, à imaginer la même concevoir l’architecture de l’immeuble au rez-de-chaussée duquel se trouve le bistrot où tout se passe depuis le début, on rentre vachement la tête dans les épaules. Heureusement, c’est bien organisé, puisque l’Etat a mis des Ordres dans tout ça, c’était sous Vichy, d’accord, mais ça offre à l’évidence un certain nombre de garanties, c’est mieux.
Saison 1 Episode 4
Résumé de l’épisode précédent :
Où l’on apprend que si tu n’as pas de diplôme, on ne te laissera pas faire n’importe quoi.
Pourtant, en tirant le fil, et une fois qu’on a compris que les architectes d’intérieur sont aux architectes ce que les psychanalystes sont aux médecins, on revient aux moutons du début de la conversation, avec cette histoire de dissociation du savoir et du pouvoir.
Pour expliquer l’Ordre des architectes, même en faisant abstraction du contexte historique de son inauguration, il faut non seulement se fader le poids de l’ancien régime, avec cette histoire de Beaux-arts institués en Académies, mais encore reconnaître une hiérarchie entre les arts. Lorsque l’on imagine un ordre des peintres ou des sculpteurs, par exemple, tout le monde se marre. Pour les architectes, personne ne rigole, là c’est sérieux. L’architecture répond pourtant à la définition de ce qu’est un art appliqué, au même titre que le cinéma, ce neuvième art, avec ses contingences financières, ses contraintes réglementaires souvent pesantes, la nécessité quasi systématique de s’associer à d’autres métiers, etc. Tandis que les corporatismes ne sont que le résultat de l’histoire et le reflet de la réalité d’une organisation sociale, le monopole des architectes, profession libérale, peut paraître anachronique, tout en s’imposant avec la responsabilité juridique écrasante qui caractérise l’exercice de cet art appliqué spécifique. En m’entendant traiter l’architecture d’art appliqué, ma copine marxiste repartait de plus belle, à démontrer, disait-elle, l’outil réactionnaire qu’a toujours représenté, pour le pouvoir, le bâtit en général. Elle exagère toujours un peu.
Saison 1 Episode 5
Résumé de l’épisode précédent :
Où l’architecture se fait carrément traiter d’art appliqué.
Les architectes, comme détenteurs d’un savoir symbolisé par un diplôme, et détenteurs d’un pouvoir, parce que l’Ordre, vivent un paradoxe, où la reconnaissance pécuniaire de leur métier laisse pourtant à désirer pour nombre d’entre eux. L’instabilité du marché fait qu’ils semblent se braquer, à chaque fois qu’une crise du bâtiment se pointe, contre toute tentative de reconnaissance du métier d’architecte d’intérieur, spécialité qu’ils exercent souvent eux-mêmes.
Les architectes d’intérieur, lorsqu’ils sont diplômés, sont eux aussi détenteurs d’un savoir. Quant à leur pouvoir, – on les a vus parfois s’essayer au lobbying, demander sans y croire, jusque dans les hémicycles parlementaires, que leur profession aussi soit réglementée -, il est pour ainsi dire nul, l’architecture intérieure, ça n’existe pas, tout le monde le sait désormais. Ma copine marxiste pense que si l’architecture intérieure était nationalisée, reconnue comme service public, les questions de pouvoir, de rapport de force ou de concurrence entre travailleurs architectes et travailleurs architectes d’intérieur ne se poseraient pas. Elle a failli se fâcher quand je lui faisais remarquer que sa proposition était plus soviétique que marxiste, alors on a parlé d’autre chose : on a refilé la métaphore musicale facile, où l’architecture intérieure serait une musique de chambre en variations plus ou moins libres d’une pièce plus costaude ou structurelle du genre symphonique, imposant le thème principal intitulé (Tatata…) l’Architecture !
Les architectes d’intérieur se réconcilieront-ils un jour avec les architectes ? Une croissance économique inespérée du secteur du bâtiment adviendra-t-elle prochainement ? Ce regain de nouveaux chantiers occupera-t-il les architectes au point de laisser vivre les architectes d’intérieur ? La crise du Coronavirus engendrera-t-elle un changement de paradigme tel que toutes ces questions perdront le sens qu’on leur connaît ? Cette série est-elle de pure fiction, tandis que le rade qui sert de décor à cette série à suspens ne survivra peut-être pas au confinement ? C’est ce que vous saurez, peut-être, en lisant la deuxième saison de Proposition pour un positionnement microcosmique à l’usage des architectes d’intérieur, série de l’été, à paraître un de ces quatre.