L’architecture intérieure ça n’existe pas #018

Publié par Bertrand Ehrhart28 février 2018

On connaissait l’intervention de Jean-Pierre Sueur, au Sénat le 16 février 2016, et la réponse de la Ministre de la culture Audrey Azoulay quant à la nécessité d’une reconnaissance professionnelle des architectes d’intérieur. Le relais politique des architectes d’intérieur ne connaît pas de frontière, puisque, après un sénateur PS, un député LR, Thibault Bazin, s’empare de la question, s’adressant là encore au Ministère de la culture, qui publie sa réponse le 16 janvier 2018.

Thibault Bazin insiste sur la nécessité à la fois d’une appellation spécifique du métier d’architecte d’intérieur, reconnue par l’Etat, et d’une régulation des formations.

A ce sujet, sont citées en tant qu’écoles prestigieuses l’ENSAD, Boulle, l’ENSAAMA et Camondo.

Dans sa réponse, le Ministère de la culture confirme l’engagement pris au Sénat, lors de la mandature précédente, d’un groupe de travail, impliquant les services concernés du Ministère, le CFAI, et des écoles, à l’œuvre sur une (…) meilleure reconnaissance des qualifications [des] architectes d’intérieur (…).

Le député est assuré de la ferme volonté du Ministère de (…) voir aboutir ce processus de reconnaissance des architectes d’intérieur, mais la réponse est assortie du bémol fatal du respect de la Loi du 3 janvier 1977.

Les articles 4, 26 et 40 de cette loi limitent la liberté de création de quiconque ne peut se prévaloir d’un diplôme d’architecte, puisque l’article 4 limite à 150 m2 la possibilité de construire sans la signature d’un architecte, et les articles 26 et 40 protègent la dénomination d’architecte, et peuvent servir, pour peu que des mains hostiles s’en emparent, à empêcher quiconque ne serait pas détenteur d’un DPLG, Diplôme d’Etat d’architecte (DEA) aujourd’hui, à s’intituler architecte.

C’est reparti (comme en quarante) :

Tout semble en effet se passer, dans un éternel recommencement, comme en 1940, lorsque Maurice Dufrêne, président de la Société des artistes décorateurs, espérait la création d’un Ordre des architectes décorateurs, qui connut l’amertume de l’échec avec l’institution de l’Ordre des architectes.

Mais aussi comme en 1977, où la loi sur l’architecture fut précédée de discussions qui semblaient fructueuses entre le Syndicat national des architectes d’intérieur (SNAI) et le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOE), pour une reconnaissance des architectes d’intérieur, qui se conclut sans avancée aucune.

L’Office professionnel de qualification des architectes d’intérieur (OPQAI), héritier du SNAI, relance l’espoir en 1981 d’une reconnaissance de la profession, avec un CNOE membre de droit de l’OPQAI, mais le CNOE, sous le prétexte diplomatique et paternaliste de l’avènement d’une maturité de la profession d’architecte d’intérieur, déserte son siège à l’OPQAI, qui disparaît rapidement, pour laisser la place au Conseil français des architectes d’intérieur (CFAI) en 2000.

Nous voici en 2018, où le débat existentiel que l’on connaît est relancé.

La question n’est pourtant pas de savoir si le mot « architecte » peut, de droit, s’accoler à celui « d’intérieur », puisque le métier d’architecte d’intérieur, s’il n’est pas réglementé par un ordre, existe cependant depuis un petit bout de temps :

La profession d’architecte d’intérieur dénommée comme telle est répertoriée par l’UAM en 1949 pour les créations de Pierre Chareau, Charlotte Perriand et Francis Jourdain ;

Le développement de l’acronyme CAIM (Créateurs d’architectes intérieures et de modèles) officialise professionnellement les architectes d’intérieur dès 1961 ;

Pour ne prendre l’exemple que de l’école Camondo, des cours intitulés « d’architecture intérieure » sont dispensés dès 1964, et le diplôme de l’Ecole (alors Centre d’art et de techniques-école Camondo) s’intitule Diplôme supérieur d’architectes d’intérieur-créateurs de modèles dès 1967.

Quelques questions, en guise de conclusion à cet article à suspens :

Comment faire exister l’architecture intérieure sans le mot architecture ?

Le design (d’espace) aura-t-il gain de cause dans cette bataille étymologique et symbolique ?

Existe-t-il un enjeu économique dans cette sombre affaire ?

La stratégie des défenseurs d’un statut officiel des architectes d’intérieur consiste-t-elle à se tirer une balle dans le pied en sortant ainsi du bois, et de se faire retoquer d’ici peu comme d’habitude ?

Ou au contraire font-ils le pari judicieux de la bonne volonté de tous dans un contexte politique En marche ?

Peut-on s’attendre à l’avènement d’une nouvelle profession réglementée lorsque les gouvernements successifs s’évertuent à libéraliser le contrat social ?

Le lobby des architectes d’intérieur devra-t-il, après le PS au Sénat et LR à l’assemblée, faire jouer ses relais FI, Verts, Radicaux, ou autres LREM ?

La réglementation ne présenterait-elle que des avantages à l’exercice du métier d’architecte d’intérieur ?

C’est ce que nous apprendrons, peut-être, au cours d’un prochain rebondissement, et de titrer enfin : « l’architecture intérieure, non seulement ça existe, mais c’est réglementé ».

Dans la même thématique

Partager cette page sur :

Le lien a bien été copié !