Valérie de Calignon, ancienne élève à Camondo, était de retour à l’Ecole ce mardi 9 février 2016 pour animer une conférence dans le cadre du Séminaire Usages et ambiances pour habiter : Inventeurs d’habiter.
S’appuyant sur sa thèse (1), Valérie de Calignon a brossé un rapide tableau historique du concept d’habitabilité, convoquant le Saint-Jérôme travaillant à ses écrits sur un bureau de type mobilier structurant représenté par Antonello de Messine jusqu’à la combinaison spatiale de Gagarine, en passant par le mobilier volant ou dormant du Moyen-âge, les meubles assujettis de Blondel, les œuvres d’art total de Wagner et autres décoratrices américaines Beecher, Wharton et de Wolfe, les catalogues ensembliers du XIXe siècle, les bureaux de Roland Barthes et leur ubiquité spatiale…
Ces références historiques appuient une catégorisation avancée par Valérie de Calignon : si la notion d’habiter est au croisement des pratiques architecturales, décoratives et de design, elle peut se décliner en 3 typologies que sont le décor, les sur-mesure, et le composant (2).
Le décor, sans lien nécessaire avec l’extérieur d’une architecture, le sur-mesure comme correspondant à ce que nous appelons l’architecture intérieure, et le composant, qu’elle s’attache dès lors à développer.
Les inventeurs d’habiter, sous-titre de cette conférence, sont les architectes designers des années 1960 Romuald Witwicki, Olivier Mourgue, Pierre Paulin, Verner Panton et Joe Colombo.
Pour Valérie de Calignon, les designers seraient aujourd’hui en passe de gagner la bataille de l’innovation que les architectes, et avec eux les architectes d’intérieurs, seraient en train de perdre.
Les inventeurs d’habiter qu’elle convoque seraient dès lors les défricheurs utopistes et avant-gardistes d’un métier de concepteur d’espaces à vivre à réinventer.
En effet, lorsqu’on examine les propositions de ces inventeurs, le constat s’impose d’une explosion des frontières entre disciplines.
Valérie de Calignon classe ces productions dans la catégorie des composants, ce qui est juste en ce que les réalisations se passent de contexte architectural et sont structurellement autonomes.
Le débat sans fin entre arts décoratifs, arts appliqués, art et design, production industrielle, petite série ou pièce unique semble dépassé tant la porosité entre ces notions apparaît évidente au vu des projets de ces inventeurs, au point qu’il devient impossible désormais de conserver les frontières entre design, architecture et architecture intérieure.
Cette typologie encore récente, parfois définie sous le terme de « Mobilier structurant » (3), est caractéristique de la double pédagogie très spécifique de l’école Camondo, les élèves sortant avec un diplôme d’architecte d’intérieur designer, comme l’a rappelé Valérie de Calignon à la fin de son intervention.
L’avenir des concepteurs d’espaces passe peut-être par la pratique d’un design interdépendant des disciplines artistique et architecturale.
Mais n’est-ce pas là une définition possible de l’architecture intérieure ?
1-Grands mercis à Valérie qui permet à la bibliothèque de l’école Camondo de disposer d’un imprimé de cette thèse fondatrice d’une histoire qui n’existait pas encore ! : de Calignon, Valérie. Architecture intérieure, processus d’indépendance, 1949-1972 : une autonomie réinventée ou la révolution du composant. Thèse de doctorat : Histoire de l’architecture moderne et contemporaine. Université Paris I – Panthéon – Sorbonne, 2015, 2 vol. Imprimé disponible à la bibliothèque de l’école Camondo.
2-Voir le DEA de Valérie de Calignon, déjà évoqué sur ce blog.
3-Le terme Mobilier structurant nous sert, à la bibliothèque de l’école Camondo, à décrire ce que d’autres appellent parfois « gros meubles ». Il s’agit à la fois de mobilier et de la structure même d’un élément architectural ou de cloisonnements, en architecture intérieure. Ce mot-clé est symptomatique de nos tentatives bibliothécaires de rendre compte d’une pratique transversale des arts appliqués Design et Architecture Intérieure.