Contribution pour une histoire de l’école Camondo 031

René Prou, bien connu à l’école Camondo depuis qu’ont été exhumés certains documents d’archives, contribua à la création de l’Ecole, est connu pour avoir été l’architecte décorateur ensemblier directeur de projets et de chantiers sur de nombreux paquebots, sur les wagons de nombreux trains comme l’Orient express, mais pour avoir aussi été un pédagogue, enseignant à l’ENSAD, directeur de l’école Beethoven (Comité des dames de l’Union centrale des arts décoratifs), et cofondateur, donc, de l’école Camondo.

Publié par Bertrand Ehrhart15 juin 2021

Nantes 1887 – Paris 1947

Fils d’Henri-Louis Prou et Marie-Emilie-Rose Marineau

Entre à l’école Bernard Palissy en 1902 (il a13 ans), il suit les cours de dessin et modelage, sort diplômé en 1908.

Ecole des arts appliqués à l’industrie, fusion des écoles Bernard Palissy et Germain Pilon. Le bâtiment héberge aujourd’hui l’école Duperré.

1908, il entre chez Gouffé sur le Faubourg Saint-Antoine où il est nommé rapidement chef d’atelier, puis directeur artistique.

Façade de la maison Gouffé

  • Service militaire 1909-1911
  • Entre chez Schmidt en 1912 qui édite très vite ses meubles. Il participe aux décorations du Comptoir d’escompte de Paris, et de l’appartement de l’ambassadeur du Paraguay.
  • Epouse Andrée Faraut.
  • Naissance de sa fille Geneviève Prou en 1913.
  • 1914-1919 enrôlé dans l’armée.
  • 1917 naissance de son fils Jean.
  • 1919 première participation au Salon d’automne dont il est sociétaire, il présente des meubles, boiseries et aménagements, édités par Schmit & Cie, destinés à une cabine de première classe du paquebot Paris
  • Prou est d’abord un artisan, formé aux métiers d’arts du meuble, et qui restera fidèle aux ébénistes du faubourg jusqu’à la fin de sa vie.
  • Surtout connu pour avoir réalisé des salons et autres cabines et restaurants de grands paquebots et wagons Pullman (il se partage le marché avec Lalique avec qui il collabore parfois) dans les années 1920 et 1930 (1919 Le Paris).
  • Entre 1919 et 1923, il travaille sur les paquebots Paris, Volubilis, Roussillon, Cuba et Florida.
  • 1921, Prou commence à enseigner dans l’école fondée par Elisa Lemonnier (qui deviendra école Duperré).
  • 1922, expose pour la première fois au Salon des artistes décorateurs (SAD).
  • Il participe à l’exposition « La décoration française contemporaine » au Musée des arts décoratifs, une chambre d’hôtel éditée en série.
  • Il a sa propre agence dès 1920, faubourg Saint-Honoré, au plus proche des artisans ébénistes avec lesquels il travaille.
  • 1923, expose une parfumerie Violet au SAD.
  • 1923-1926 enseigne à l’école des arts appliqués de la ville de Paris, qu’il codirige avec Eric Bagge.
  • 1924, expose la salle à manger du paquebot De Grasse au SAD. Il dirige la totalité des ensembles pour ce paquebot.
  • Omniprésent à l’exposition des Arts Décoratifs de 1925, accède à la célébrité (apogée 1925-1937).
  • 1926 Commence à enseigner à l’école du Comité des Dames, où il restera jusqu’en 1947.
  • Présente une commode en bois incrusté de métal.
  • Répond, avec Léon Jallot, à un programme de décoration  d’appartements pour des immeubles à loyers modérés.
  • Entre 1922 et 1929, 205 voitures-lits de type S (12 compartiments individuels et doubles), 45 boitures-lits type LX (10 compartiments individuels), 34 voitures Pullman, de nombreuses voitures-restaurants et Pullman de luxe.
  • Il signe la cheminée de la villa Noailles à Hyères.
  • 1927, participe à la décoration du paquebot Ile-de-France
  • En 1928, il prend la direction pédagogique de l’école dite Beethoven, où il enseigne depuis 1926, et la même année la succession de Paul Follot pour la direction de Pomone, atelier de décoration du Bon Marché, jusqu’en 1932, Albert Guénot principal collaborateur mais aussi Etienne-Henri Martin qui sera enseignant dès 1944 au CAT.

Ecole du Comité des Dames dite Beethoven

1929, expose, au Salon d’automne, des meubles à structure métallique en Duralumin. Il ouvre cette année-là sa propre boutique rue de Rome.

1930, dirige la décoration du paquebot Lafayette, présente au SAD ses propres productions (métal) et celles de l’atelier Pomone qu’il dirige (plus traditionalistes).

1931 inauguration des paquebots Côte-d’Azur et Colombie, dont il a dirigé les ensembles, et de l’Atlantique, auquel il a participé.

Il quitte Pomone en 1932, dirige les travaux sur le Champlain, répond à une commande de la chaîne de grands magasins japonais Mitsukoshi.

En 1935, Mallet-Stevens le critique dans la presse et regrette l’absence de l’UAM sur les chantiers de la Compagnie Transatlantique, tandis que Prou participe à la décoration du Normandie, qui cristalise l’opposition entre les tenants de l’Art Déco et les Modernistes de l’UAM.

Enseignant, chef d’atelier d’art industriel à l’ENSAD de 1935 à sa mort en 1947.

Cours de peinture à l’ENSAD dans les années 1940

Il s’associe à Stéphane Boudin et au Comte de Ganay pour fonder le CAT en 1944, il est, avec Stéphane Boudin, vice-président du CAT, de Ganay président (qui préside la commission enseignement du CA de l’UCAD).

Plaquette d’information Centre d’art et de techniques 1945

René Prou est par ailleurs attaché aux aspects statutaires du métier d’ensemblier décorateur, voire militant de la cause, puisqu’il est fondateur en 1939 du syndicat professionnel des artistes décorateurs (SPAD), et de l’UADCE en 1946, qui deviendra le CAIM en 1961.

Sa carrière ne se limite pas aux transports : nombreux dessins pour motifs textiles, céramiques, hôtels particuliers, appartement et même logements sociaux (ILM pour Paris), boutiques et grands magasin dont un au Japon, un cabinet médical, gare maritime du Havre

Economie d’espace et de l’ornement, simplicité formelle, il décore mais n’orne pas, souci impératif du confort.

Revendique une filiation à la tradition des arts décoratifs français.

On reconnaît de nombreuses citations stylistiques XVIIe français.

Collabore avec les grandes manufactures françaises Sèvres, Beauvais, les Gobelins, Aubusson (paquebots), participe à lier ces institutions aux grands magasins et aux écoles dans des expositions : Pomone accueille les productions contemporaines de Sèvres, Ecole Bernard Palissy accueille ses anciens élèves…

Revendique son opposition aux modernistes, sa priorité d’ensemblier est le confort du commanditaire, tandis qu’il estime que les modernistes de l’UAM font parfois des appartements privés des musées dédiés à exposer les résultats de leurs recherches.

Met au point plusieurs techniques d’éclairage indirect.

Au centre de ses innovations, le Duralumin, légèreté du Duralumin, nouvelle interprétation des formes traditionnelles dans un goût moderne.

La modernité de René Prou peut s’établir à partir de l’utilisation qu’il fait dès 1926 du métal, et du Duralumin dès 1930, ces matériaux sont éléments clés de l’originalité de son travail.

Prou refuse les théories modernistes, qu’il juge trop éloignées des préoccupations de confort de l’usager.

Il rejoint pourtant les modernistes par les matériaux qu’il choisit, le métal pour plus de légèreté et de souplesse formelle, le caoutchouc pour les sols des paquebots etc, et par le fonctionnalisme de ses productions adaptées aux contraintes d’espaces dans les paquebots et les trains.

Son mobilier pour la bibliothèque du Pavillon des Artistes décorateurs de l’exposition de 1937 constitue un ensemble moderniste qui contraste avec son style plus attendu de la tendance Art Déco.

Son projet de logement social dans les années 1920 le rapproche aussi des modernistes.

Carrière dans l’enseignement

  • 1935-1947 Chef d’atelier d’art industriel à l’ENSAD
  • 1921-1923 Enseigne à l’école Elisa Lemonnier
  • 1923-1926 Enseigne à l’Ecole des Arts appliqués
  • 1926-1947 Enseigne à l’école des Arts graphiques de l’UCAD, qui déménage rue Bethoveen en 1927-1928, Comité des Dames.
  • 1928 succède à Henri Rapin en tant directeur artistique de l’école du Comité des Dames.
  • 1944, création du Centre d’art et de techniques qui deviendra l’école Camondo
Centre d'art et techniques école Camondo

Sigle du CAT, par Pierre Lardin, directeur de l’Ecole

1946 devient directeur de la même école, où il introduit le cours de publicité.

Au tout début de la seconde guerre mondiale, François Carnot, directeur général de l’UCAD, ferme cette école. Mme Langrand, alors directrice, s’appuie sur René Prou pour oeuvrer à la réouverture, qui intervient dès 1940.

La carrière de René Prou est double, et la frontière est très nette entre ses productions de décorateur et son rôle pédagogique.

Probables interactions théoriques entre Henri Rapin et René Prou.

René Prou cours

Cours d’arts appliqués par René Prou

René Prou professe par exemple dans son recueil de cours qu’il ne faut pas craindre d’être à la mode, tandis que Rapin écrit, en 1919, dans un rapport sur l’école du Comité : « On vous objectera que cet art n’est qu’un art de mode. Eh bien oui ! Acceptons joyeusement ce mot et n’en ayons nulle honte ».

Cours par René Prou, Paris, Art et collections, sans date, 93 p.

  • Sur la datation de l’ouvrage

Dans son avant propos, René Prou dédie cet ouvrage « A vous, mes chers amis morts pour notre belle France », parle de son grand âge dans sa conférence d’inauguration.

On peut dès lors supposer que cette production est contemporaine de l’inauguration de l’école Camondo en 1944, en tout cas aux alentours de la fin de la seconde guerre mondiale, et avant 1947, année de la mort de René Prou.

Par ailleurs, l’analogie entre le sous-titre du Cours, « Art – – Techniques », et le nom choisi pour l’école de l’Union Centrale des arts décoratifs en 1944, « Centre d’art et de techniques », paraît être plus qu’une coïncidence.

  • Sur l’avant Propos

Tout laisse penser que René Prou livre là un ouvrage testamentaire de sa contribution de pédagogue, célébrant cet « Esprit d’atelier » qu’il semble fier d’avoir contribué à poursuivre, dans une tradition française de « l’élégance bien de chez nous ».

  • Conférence d’inauguration des cours

Où le projet de René Prou est la transmission de son enseignement par la retranscription littérale de son discours aux étudiants. Il livre un cours clés en main, dans ses moindres détails, dans un style qu’on pourrait qualifier de paternaliste.

Où l’on comprend que la base de l’enseignement en atelier (Prou chef d’atelier à l’ENSAD) est la maîtrise préalable du dessin.

L’ouvrage est destiné à un cours de fin de cursus, puisque Prou évoque le futur des étudiants, à l’issue de l’année universitaire à venir, qui seront alors « créateurs de modèles ».

Prou évoque le programme pédagogique en 3 mots : le décor, la forme, la couleur.

Les 19 cours sont déclinés par sessions de deux semaines par sujet, autant de cahiers des charges aussi précis qu’un carnet de commandes d’atelier, sur le modèle des réalisations passées de René Prou, depuis un motif de papier peint jusqu’à un décor de théâtre.

  • Premier trimestre :

Cours 01     Un papier peint pour une chambre à coucher à la campagne

Cours 02     Une percale imprimée d’un motif floral pour une robe de jeune fille

Cours 03     Un tapis noué pour être placé sous une table de salle à manger

Cours 04      Un panneau de tapisserie au-dessus d’un autel dans la chapelle latérale d’une cathédrale moderne

Cours 05      Un panneau décoratif en laque de Chine pour la salle du Conseil d’administration d’une Compagnie de transports maritimes

Cours 06     Une affiche pour le Ministère de l’agriculture

  • Deuxième trimestre :

Cours 07      Service de table en cristal comprenant 3 tailles de verres, une carafe à vin, un pot à eau

Cours 08     Service à hors-d’œuvre en faïence décorée pour une auberge de province

Cours 09      Une fourchette, cuiller, couteau de table en métal ciselé, avec monogramme

Cours 10     Une broche en métal ciselé et pierres précieuses

Cours 11     Une brosse, poudrier, peigne, miroir, soit en ivoire, soit en écaille et métal

Cours 12     Applique en staff à motif peint pour le hall d’un théâtre

  • Troisième trimestre :

Cours 13      Une bibliothèque en bois marqueté et vernis, métal, glaces, avec vitrines de présentation, destinée à être placée dans le bureau du conservateur d’un musée

Cours 14      Un fauteuil de lecture et un divan de repos, bois massif sculpté, couverture de tissus à dessiner, destinés au même bureau qu’au cours précédent

Cours 15     Présentation d’ensemble du même bureau

Cours 16      Porte en fer forgé double battant et imposte fixe pour l’entrée principale d’un immeuble de rapport à Paris

Cours 17      Aménagement d’une propriété comprenant maison d’habitation, communs, garage, jardin d’agrément et potager, pour une famille de cinq personnes

Cours 18      Dans la même propriété qu’au cours 17, fontaines, bancs, vases, portes, porches, pavillons de repos, ameublement de jardins

Cours 19      Maquette en volume d’un décor de théâtre pour le finale d’une revue à grand spectacle

La conclusion du cours évoque un voyage au pays des métiers, de l’artisanat et de l’art pur, qu’il résume par « l’art appliqué à la technique ».

L’objectif affiché est d’amener les élèves à produire des oeuvres dignes des maîtres des générations passées, et exemplaires pour les générations futures, dans la tradition française du bon goût.

Le projet pédagogique de René Prou semble reproduire sa propre carrière, depuis la maîtrise du projet le moins complexe en deux dimensions jusqu’à un projet d’ensemble.

Où l’ornementation est à l’origine de la conception, au même niveau que la fonction de l’objet, du mobilier ou de l’ensemble.

Le Cours par René Prou est la dernière année d’un cursus en arts appliqués à la technique, pour une formation de créateurs de modèles, comme il l’écrit dans son introduction, avec, en fin d’année, une initiation au métier d’ensemblier décorateur.

Cette chronologie de la formation en arts appliqués reproduit le parcours des jeunes, voire très jeunes, qui intégraient les ateliers du Faubourg, et qui, une fois formés aux métiers d’arts de la décoration, pouvaient, pour les plus brillants d’entre eux, tels René Prou, poursuivre leur carrière en conduisant des projets d’ensembles.

La carrière pédagogique et ce Cours d’art et de techniques témoignent de l’attachement de René Prou à la transmission de son expérience, lui qui intégra très jeune un atelier, tandis que les techniques en arts appliqués s’acquéraient sur le tas bien plus qu’en établissement d’enseignement pour ceux de sa génération.

  • Pédagogie, méthode Prou
  • Programme pédagogique
  • Consignes de rendus

Plaisirs de France, juillet 1948, consacré au Centre d’art et de techniques, où la pédagogie double prônée par René Prou, entre « style » et « contemporain » apparaît clairement

  • Occurrences

Les termes les plus fréquemment rencontrés dans le texte sont significatifs de l’attachement de l’auteur au bon goût français, à l’artisanat et aux métiers d’art, dont la connaissance technique est pour lui préalable à toute conception d’art appliqué.

Il est notable que Prou regrette, à plusieurs reprises dans le texte, le développement de la production industrielle, au détriment de l’artisanat.

Il se situe donc plutôt du côté de la Société des artistes décorateurs que de l’Union des artistes modernes.

  • Architecture : 7
  • Art + technique(s) : titre + 14 + Conclusion
  • Atelier : introduction + 2
  • Art/Artiste/artistique : introduction + 51 + Conclusion
  • Artisan :  7 + Conclusion
  • Créateur(s) de modèles : 6
  • Dessin/Dessiner : 36
  • Décor/Décoration/Décoratif : 48
  • Ensemble : 8
  • Intérieurs : 8

René Prou à la bibliothèque de l’école Camondo :

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