La place de l’école Camondo dans l’histoire de l’architecture intérieure en France est singulière, puisqu’elle est en partie constitutive de l’existence même du métier.
Créée en 1944 sous le nom de Centre d’art et de techniques, cette école s’inscrit d’abord dans une dynamique propre aux actions menées par l’Union centrale des arts décoratifs, qui accueille, en 1901, Pavillon de Marsan, la Société des artistes décorateurs, et accueillera plus tard les salons du même nom (SAD).
Si le SAD 1929 et sa célèbre polémique donnent lieu à la création de l’Union des artistes modernes (UAM), avec Mallet-Stevens et Charlotte Perriand, qualifiée, au catalogue, déjà, d’architecte d’intérieur, les modernes restent cependant minoritaires durant les années trente dans la production décorative, et encore souvent dépendants de mécènes éclairés.
Emanation de l’UCAD, le Centre d’art et de techniques qui deviendra l’école Camondo, ouvre en 1944, à l’initiative notamment de René Prou, déjà fondateur en 1939 du Syndicat professionnel des artistes décorateurs (SPAD). René Prou, avec Jansen et le conseil d’administration de l’UCAD, souhaite la création de cette école, dont l’enseignement est conçu au départ comme un complément technique à l’enseignement des Beaux-Arts et surtout de l’Ecole des Arts Décoratifs, comme en témoigne le Comte de Ganay, président de la commission de l’enseignement de l’UCAD, dans son rapport au conseil d’administration de 1946 :
Cette école, encore peu connue de nos membres, créée (…) sur la demande de nombreux décorateurs de tendances diverses, est destinée à donner à des jeunes gens et des jeunes filles ayant déjà fait des études d’art décoratif, un complément d’instruction surtout pratique. C’est en somme une école de perfectionnement destinée à créer une pépinière de collaborateurs pour toutes maisons spécialisées dans l’Art Décoratif quel qu’il soit.
Des enseignants de l’Ecole des Arts Décoratifs tels Maxime Old ou Etienne-Henri Martin apportent leur contribution pédagogique à cette nouvelle école, et entrainent avec eux les tous premiers élèves, en fin d’études aux Arts Décoratifs, tels Geneviève Pons, Michel Arnoult, ou Bernard Durussel, pour 2 ans de formation supplémentaire.
Les parcours et créations de Pons, Arnoult et Durussel sont significatifs du passage de la décoration à l’architecture intérieure et du métier de décorateur à celui de designer.
Geneviève Pons succèdera au décorateur Maurice Dufrêne pour la direction artistique de la Maîtrise des galeries Lafayette, Michel Arnoult deviendra célèbre au Brésil avec ses meubles de série en kit, et Bernard Durussel produira du mobilier tubulaire fonctionnel typique des grands salons des arts ménagers des années 1950 et 1960.
Tous les 3 développeront des meubles et des architectures intérieures destinés au plus grand nombre, adaptés aux habitats et modes de vie en pleine mutation, contribueront à l’invention de nouvelles typologies de mobilier, oseront les couleurs, et utiliseront sans complexe des matériaux jusque-là jugés insuffisamment nobles pour le marché du mobilier et de la décoration traditionnels.
Avec cette génération de l’immédiat après-guerre, les arts appliqués en France, aidés par le contexte économique de la reconstruction et des trente glorieuses, entrent dans la modernité avec des objets et mobiliers de séries, la démocratisation des arts décoratifs par l’entrée dans les grands magasins d’objets et de meubles accessibles à la classe moyenne et conçus pour elle, l’affirmation de styles résolument éloignés des traditions, etc.
Dans le même temps, la profession d’architecte d’intérieur s’affirme puisqu’en 1946, année de sortie de la première promotion du Centre d’art et de techniques, René Prou, toujours lui et toujours Pavillon de Marsan, fonde avec Adnet et Sognot, l’Union des artistes décorateurs et créateurs d’ensembles (UADCE) qui deviendra en 1961 le Syndicat national des créateurs d’architectures intérieures et de modèles (CAIM).