Dans Le décoratif (1), ouvrage de Jacques Soulillou réédité en 2016, il n’est pas question de décoration au sens d’une tendance ou d’une mode, mais de théorie du décoratif, phénomène transversal et irréductible des arts visuels.
Dans cet ouvrage, Jacques Soulillou affirme le rôle prépondérant de l’ornement, en dépit et avec l’accusation de Crime proférée par Adolf Loos, en dépit et avec le dogme fonctionnaliste qui use lui-même de l’ornement par son esthétique minimale même.
Docteur en philosophie et critique d’art, Soulillou rappelle que la question de l’ornement est posée depuis toujours, comme composante de toute histoire de l’art et de l’architecture, avec comme invariants les notions d’ordre et de dépense.
Soulillou affirme ainsi que si crime il y a, c’est que l’ornement implique une dépense, pour exprimer un pouvoir, l’appartenance à une classe sociale. Dans une orientation anthropologique, il aborde le décoratif en tant qu’expérience, et puise dans les créations contemporaines artistiques, graphiques, de design ou d’architecture, ce qui relie la surface au motif.
Il en tire les éléments pour mettre en évidence des pratiques sociales, des affirmations de pouvoir ou de contre-pouvoir, des récits porteurs de civilisation.
Mais Soulillou insiste sur le concept de Décoratif, à ne pas confondre avec celui d’ornementation, où l’ornement serait universel et toujours présent quelle que soit la culture considérée, et où le Décoratif se situerait sur une ligne de partage, ambigüe, entre décor et decorum, entre art « libre » et art « appliqué ».
Sa préface à cette édition augmentée, comme une mise au point, propose 13 thèses potentielles découlant du Décoratif parmi lesquelles :
Il n’y a pas de retour de l’ornement, il n’y a que des changements de décor,
Il n’y a pas trop ou peu d’ornement, il n’y a que des modalités de jeu avec le trop ou le peu,
La notion de Décoratif est sensible à la limite entre design et artisanat,
L’ornement est fascination, le décoratif est répulsion,Il n’y a pas pire ennemi du décor que le décoratif,
Le décoratif n’est ni épithète ni attribut, il n’est que substantif,
Le dépassement de l’opposition entre art et arts décoratifs n’est qu’un fantasme occidental hors de propos ailleurs,
Le décoratif est irreprésentable, on n’en voit que les effets,
Retirer le décoratif d’une production architecturale est aussi dangereux que de retirer une poutre maîtresse d’une structure architecturale…
Cet ouvrage est disponible à la bibliothèque de l’école Camondo, venez nombreux consulter celui-là et d’autres, ça vous fera du bien de lire un petit peu.
(1) Le décoratif, 2e édition revue et augmentée (la première, épuisée, datait de 1990) du remaniement de la thèse de Jacques Soulillou Normes et fonctions du décoratif dans l’art moderne et contemporain, Paris, 1987, 240 p., thèse de 3e cycle sous la direction d’Olivier Revault-d’Allones, Université Paris I, UER Philosophie.