Un article d’Elise Koering, historienne de l’architecture : « Décoratrice-ensemblière : une étape vers la profession d’architecte dans les années 20 ? ». Dans Livraisons d’histoire de l’architecture n°35/2018
Elise Koering met d’abord en évidence la très grande difficulté des femmes, à l’issue de la première guerre mondiale, à entrer en architecture, en rappelant les débats dans la presse spécialisée des années 1920 sur la « nature féminine », qui entrerait en contradiction avec un métier forcément masculin, voire viril.
Ces discours, symptomatiques jusqu’à l’extrême caricature d’une misogynie institutionnelle, rappellent l’injonction qui renvoie la figure féminine à la décoration intérieure, forcément.
Elise Koering poursuit en montrant que pourtant, des femmes entrent alors dans les écoles d’architecture , et surtout que la réalité genrée de la profession est différente de la perception que l’on peut en avoir rétrospectivement : Les catalogues des salons d’automne et des artistes décorateurs, s’ils ne mettent guère en valeur les travaux signés par des artistes femmes, ne peuvent néanmoins pas les faire complètement disparaître.
Charlotte Perriand, à l’école Camondo en juin 1985, visite de l’exposition des diplômes
Et de citer la première (et la seule à exposer dans le pavillon de la SAD en 1925) ensemblière française présente à ces salons : Lucie Renaudot. Trois autres créatrices suivent en 1920, dont Charlotte Gauchet-Guilleré, directrice artistique de Primavera dans les années 1920.
Arrive, en 1922, Eileen Gray, et, dans la seconde moitié des années 1920, le mouvement s’intensifie, avec de plus en plus d’ensemblières exposantes aux salons, dont bien sûr Charlotte Perriand, sortie de l’école du Comité des dames, qui acquiert une notoriété qui ne se démentira pas, en 1927, avec son fameux Bar sous le toit.
L’auteure évoque l’origine sociale souvent favorisée de ces pionnières, et le rôle actif de Maurice Dufrêne, à la Maîtrise des Galeries, mais aussi en sa qualité de vice-président des deux salons parisiens, pour accueillir et soutenir les ensemblières.
Elise Koering présente les prémices de la féminisation du métier d’architecte, comme si celui de décoratrice ensemblière était le passage obligé vers une émancipation. Au rez-de-chaussée de l’école Camondo, on se demande si, justement, les barrières rétrogrades, voire réactionnaires, opposées à l’entrée des femmes en architecture, n’auraient pas, des fois, contribué à façonner l’autre métier, celui qui n’existe pas : l’architecture intérieure ?
Lisez « Décoratrice-ensemblière : une étape vers la profession d’architecte dans les années 20 ? », ça vous fera du bien de lire un petit peu Elise Koering