Gérard Bach

Diplômé de l’école Camondo en 1962

Article de la revue suisse Bilan du 30 octobre 2016, signé Etienne Dumont:

Trois vitrines sur la rue Pictet-de-Rochemont. Quatre sur le côté Jeu-de-l’Arc. Au milieu, une entrée majuscule, sculptée en pierre dans un immeuble 1900 qui en impose. L’espace (570 mètres carrés) se retrouve aujourd’hui à louer. Studio Bach n’existe plus depuis début octobre. Une aventure de quarante ans s’est terminée dans le domaine de la grande décoration à Genève. De certains intérieurs conçus durant cette période, il ne subsiste déjà plus rien. L’architecture d’intérieur est très fragile, surtout pour les hôtels, les restaurants et les bars, où il faut toujours du neuf et du nouveau.

«Nous avons racheté, Gérard Bach et moi, l’entreprise Schüler en 1976», explique dans son appartement très 1940 Johannes Pfenninger. «Nous avions commencé à travailler ensemble avant. Gérard avait dix ans de plus que moi et sortait de l’école Camondo, à Paris. Il voulait quelqu’un ayant la même formation, ce qui était mon cas.» Notons qu’il s’agissait à l’époque d’un petit bureau d’architecture intérieure, situé à la Tourelle. «Schüler nous vendait son pas de porte, rue de l’Hôtel-de-Ville, en nous demandant de reprendre son atelier de tapissier. C’est comme cela que nous sommes mis aux canapés, aux rideaux et aux lits à baldaquin.»

Une entreprise créée en 1816 

Au-delà de Schüler, c’est à une dynastie que succédaient messieurs Bach et Pfennninger, le premier faisant office de directeur. Pensez plutôt! Dans cette immeuble de la Vieille Ville, F. Mestral avait créé son entreprise de décoration en 1816. Il y a donc pile deux siècles. Antoine Buscarlet avait repris l’affaire en 1830. Plusieurs génération de Buscarlet se passeront du coup la main jusqu’en 1912, où la maison deviendra Buscarlet & Grandchamp. Les Grandchamp resteront seuls maîtres à bord de 1917 à 1954, date de la cession aux Schüler. «Nous avons trouvé sous les combles des rouleaux de papier peint imprimés à la main dans la maison, avec leurs matrices. Et d’autres choses.» Johannes Pfenninger vient de donner ce reliquat patrimonial à la Maison Tavel.

Durant dix ans, les associés (il y avait aussi Marie-Jeanne de Meuron, avec qui j’ai fait il y a bien longtemps mon instruction religieuse à la paroisse Saint-Pierre-Fusterie) ont donc travaillé là. Mais la propriétaire avait vendu. L’immeuble a ensuite passé par d’autres mains. «Et un jour, il nous a fallu vider les lieux. C’est comme cela que nous avons ouvert en décembre 1987 à l’avenue Pictet-de-Rochemont.» Avec déjà de gros chantiers. «Nous faisions de tout. Un bar comme le Griffins’s Club. Un hôtel cinq étoiles à Arosa. Le Richemond à Genève, dont nous avons créé le jardin d’hiver, en réutilisant des éléments anciens.» Plus, bien sûr, des appartements et des villas, ces dernières posant toujours moins de problèmes. «Avec un appartement, il faut toujours composer avec les voisins, ce qui rallonge paradoxalement les chantiers.»

Des artisans à demeure 

Tout cela supposait évidemment du monde. «Nous collaborions avec les corps de métiers, du carreleur au couvreur, tout en utilisant nos artisans.» Le nombre de ces derniers a bien sûr varié au fil des années. Parfois plus de vingt personnes. Mais avec une base fixe. «Il y a des gens qui ont fait toute leur carrière chez nous, comme notre chef tapissier, aujourd’hui à la retraite.» Il fallait matérialiser les dessins acceptés, en exécutant parfois des meubles. A l’époque, le goût restait aux intérieurs de style. «Nous achetions en vente publique et chez les antiquaires des objets qui se retrouvaient chez nos clients.» Et Johannes Pfenninger de me montrer un grand dessin («je les ai toujours exécutés à la main, jamais à l’ordinateur») d’une immense maison de la campagne genevoise. «L’idéal! La demeure était certes ancienne, mais il ne restait rien dedans. Il fallait tout recréer.»

Les temps ont bien changé depuis. Après une longue maladie, Gérard Bach est mort en 1998. Partie depuis longtemps, Marie-Jeanne de Meuron est du coup revenue. Johannes Pfenninger, qui avait déjà repris la barre, avait besoin d’une associée. «Nous avons racheté les actions de Gérard.» Mais ce sont surtout les goûts qui ont évolué. Ils allaient désormais vers le contemporain. «Des plafonds avec des guirlandes de stuc, comme ceux que vous voyez sur ce projet, je n’en ferais plus aujourd’hui.» Un ensemble du type classique créé au château de Bonmont par le Studio Bach appartient également au passé. Johannes a travaillé pendant vingt ans sur Le Vieux Manoir, un hôtel de Morat. «C’était le chantier perpétuel, avec de constantes adjonctions.» Eh bien sa nouvelle propriétaire a déjà modifié les lieux, que seuls rappellent différents projets, dessinés avec amour. «Il faut donner envie aux gens de nous suivre.»

Un monde très différent 

Johannes déclare ne pas avoir de regrets en mettant la clef sous le paillasson, à 69 ans. L’affaire n’a pas été reprise, comme il l’a espéré avec sa partenaire, mais que voulez-vous c’est la vie. Il faut dire que le milieu des décorateurs traditionnels a bien changé à Genève. Nyffeler s’est rabougri. Dupin, qui avait pignon sur rue du Rhône, tient aujourd’hui un magasin à Rive. Lasser subsiste en Vieille Ville. «La mentalité à changé», conclut Johannes. «Naguère, les étrangers venant s’installer à Genève faisaient un tour en ville, avant de fixer leur choix. Ils avaient à cœur de prendre une entreprise locale. C’était un geste d’intégration. Aujourd’hui, ils font vite appel à quelqu’un de Paris ou de Londres.» Quant aux grands hôtels de la place, ils font désormais partie de chaînes internationales…

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